Calligraphie par Clara Blanchard
Textes par Arthur Jaries
Car de nos jours toutes les histoires sont bâclées,
Entendez ici la promesse d’un récit
Complètement sorti des sentiers tout tracés,
Incitant à la réflexion sur notre vie.
En réalité cette idée est saugrenue,
Sous ce bel emballage se trouve une arnaque,
Travestie avec talent par dix-sept macaques.
Une fois pour toute soyez donc prévenus,
Nous sommes aussi futés que des œufs de Pâques.
Préparez-vous pour cette fable hors du commun :
Invoquant un phœnix, des femmes et même un chien,
Lorgnant sur des paroles insensées et absurdes,
Oubliant jusqu’à l’éthique et la cohérence
Touchant à l’humour, le mystère et la démence,
Enivrant même jusqu’au lecteur le plus rude.
Comme tout explorateur confirmé, je fus
Hameçonné un matin par un cri chantant.
Attiré par cette dissonance velue,
Par curiosité je m’y rendais en courant.
Intrigué par ce son venant d’ailleurs et qui
Transgressait ce lourd silence encore absolu,
Remplir ce vide de sens et de compagnie,
Eclata comme étant une idée convenue.
Un chien à deux têtes, voilà tout le spectacle,
Nul n’aurait pensé cela possible, un miracle!
Une tête rappelant bien celle d’une oie,
N’en déplaise à l’autre qui, semblant s’en moquer,
Entendait sans doute à peine mes phrases trissées.
Pour les différencier la seule information
Résidait sur un collier empreint de “JT”.
Enclin dès lors à un très certain abandon
Mon choix s’est donc orienté vers son adoption.
Initié alors à cette entité duale,
Entreprendre la poursuite de mon chemin
Ressemblait pour lors à une quête sans fin
Egayée par un compagnon très peu banal.
Rapidement sa présence m’a affecté,
Enivrant ma condition selon ses humeurs.
Nul ne saurait expliquer ses effets pourtant.
Comprenez que la vue de l’oie m’enchantait mais
O combien l’autre me consternait à toute heure.
Ne jugez pas, j’ai besoin d’eux deux cependant,
Tout ce voyage ne saurait se faire seul :
Replié sur nous même, avancer est ardu.
Errons donc ensemble plus loin vers l’inconnu…
Laissé presque seul dans ce territoire hostile,
Endurer cette tare me rendait docile…
D’un coup ! Une forêt m’est apparue au matin.
Il m’incombait de me diriger vers là-bas…
Le possible mirage me semblait à perpète les oies,
Egayant fortement en partie mon voisin !
Mais je m’en suis étonnement rapproché vite,
Mettant en joie cette moitié de chien et moi
En pensant pouvoir trouver quelqu’un qui l’habite…
D’ordinaire les déserts suivent les forêts,
Emmenées par l’esprit d’un brillant château, mais,
L’ordre des choses ici semble être différent,
Appelant à l’évolution, comme un aimant.
Bien décidé à percer ces mystères feuillus,
Activement je pénétrais dans l’inconnu.
La forêt était douce et mesurée par endroits.
La forêt était néanmoins survoltée des fois.
A l’instar de cette unique et blanche lumière,
Dans ce pays luttent les couleurs froides, et austères.
En fin de compte, j’aime ce type d’aventure !
Fatigué, j’admettais avoir mes jambes molles.
Ornant un tronc singulier j’aperçus en l’air :
Révoltée, une branche, sinueuse tel un col
Et une autre, saillante semblable à une lame,
Souriante, courbée comme les fesses d’une femme.
Tout émerveillé je grimpais donc les chercher.
Intentant de les prendre j’admirais la cime :
En haut de ces troncs s’entremêlaient les feuillages,
Ramifiés de nature et bras d’une toile intime.
Enfin je comprends des énigmes, des paysages.
A présent équipé de bâtons pour marcher,
L’heure est enfin à la pause bien méritée.
Alarmé cependant par un autre bruit soudain
Presque tremblant je me levais, cherchant sa source.
Oyant ce son fort et fluide, je repris ma course,
Usant de mon chien pour me frayer un chemin.
Rapidement je vis la lisière et m’arrêtai,
Sous mes yeux et les aboiements, l’étonnement,
Une rivière venait d’encercler la forêt !
Impossible à éviter, sans contournements…
Toutefois à ma droite émergeaient des rochers
Exposant des prises, sûres à l’inverse du reste
Dompté par la pure désorganisation.
Enclin à survivre sans céder au frisson
La traversée s’est faite en direction de l’est.
Escorté à la nage par mon chien toujours morne,
Traverser la Willamette vivant et indemne
Ravive, selon moi et mon compagnon très piorne,
Au grand air la beauté de ces flots de Salem.
Noyé d’admiration j’observais l’horizon :
Guidé par les méandres, descendant le courant,
Éreinté par l’émotion, combattant les vents,
Il se dessinait ma nouvelle direction.
Le fleuve rencontrait plus bas des affluents,
Le lit grossissait et devenait plus violent !
Utilement, une barque gisait au bord,
Me donnant un pratique moyen de transport.
In extremis je voguais jusqu’à une grotte…
Nappé dans la nuit noire, j’avançais à l’aveugle
A l’exception d’une lumière maigriotte.
Tout s’accéléra, s’illumina, et d’un coup !
Impensable ! Du vide et une immense cascade
Ouvrant sur un extérieur semblant infini !
Nul ne saurait décrire telle poésie…
Une seconde de plus et je n’étais plus,
Noyé par ces longs flots tombant dans l’inconnu.
Rares sont réussis les sauts désespérés et
Encore sous le choc nous regagnions la rive.
Garder sa sérénité n’était pas aisé,
Aussi dur même, que de calmer un bateau ivre.
Rude fut la sortie de ces eaux qui bientôt,
Disparaissaient pour ne laisser qu’un filet d’eau.
Tout était devenu calme sans crier gare.
Insensé. Cette cascade avait disparue !
Même un tyran assoiffé n’aurait pas tout bu !
Il ne restait que ma face mouillée et du marc.
Du silence, sorti un son à peine audible,
Effaçant un lien, m’ouvrant au monde sensible.
Sur d’être à présent libre de mes futurs choix,
Une envie supplanta alors toutes mes peurs :
Rejoindre le bord de ce précipice hurleur.
Lentement je marchais, m’aidant de la paroi,
Et je fus bouche bée devant telle grandeur.
Nombre de formes étranges tournoyaient dans l’air,
Oubliez le désert, place au relief de la terre !
Une fenêtre opaque venait de s’ouvrir,
Vivifiant mon esprit d’une faim insatiable.
Emmené par une légère brise apyre,
Assailli par ces courants ardents inflammables,
Un fil d’Ariane s’étendait à l’infini
Magnifié sur ses bords par moult broderies.
On devinait que le suivre était sans retour.
Non-rassuré, j’envisageais un demi-tour
Démoli par le torrent qui revenait.
Enclin à devoir sauter, je m’y accrochai.
Voici donc l’aube éclairée de mon existence.
Enfin je vis, vois et le crie de vive voix.
Rien ne vaut ces horizons dénués de sens,
Si infinis que je ne peux qu’en rester coi.
Une lueur ivoire surgit pour m’enluminer,
N’en déplaise à tous ces rois restés aveuglés.
Un éclat perça ce doux instant suspendu
Noyé pourtant dans un brouillard orné de soie.
Il frappa mon esprit par rondes ordonnées
Violemment stridentes, mettant mon chien aux abois.
Et dans cette inouïe fureur, je me plaisais.
Réjouis de ces situations qui perdent leur sens,
Seuls nos sons sont bienfaiteurs de cette démence.
Tout me poussait à me renfiler d’attention,
Un si beau tableau cache précieusement son piège.
Rusé et curieux de dompter ces sensations,
Bien des idées vinrent à mon esprit stratège.
Une fin serait de ne rien laisser sortir,
L’air même ne me filerait pas entre les doigts !
Et à jamais je me priverais de sourire,
Navré d’être vidé par mes propres lamproies,
Tenaces et attachées à me garder éteint.
Et pourtant il n’en sera rien, car je veux vivre
Toute cette folie, en épouser son faste.
Il me faut toucher et embrasser ce tableau.
Le gober avec appétit tel un goret,
L’admirer tel un orgue accompagnant un chœur
Infusant des sachets de thé dans des sceaux d’eau.
Seulement alors je pourrais tout apprécier.
Il ne me reste qu’à comprendre ces odeurs,
Bénir ces éblouissantes illuminations,
Lire ces échos résonnants, ces vibrations,
Et saisir les saveurs et textures de mon monde.
La sève de ma réalité est sécable,
Etriquée dans des écrins scellés, immuables,
Séparés d’écluses aux portes formées de cœurs.
Perchés sur leur promontoire, deux geôliers m’épient,
Ratifiant mon moindre passage avec ferveur,
Enchantés de sculpter à leur gré ma candeur.
Mes propres choix s’exécutent sans mon avis…
Ici tout n’est que frontières nettement tranchées
Construites avec un soin versatile, parfois frêles.
Et ces murs s’érigent, m’obstruant bien des merveilles,
Séparant dans mon esprit, rêves et pensées.
D’aucune parade, je fus pris d’une migraine.
Un songe si puissant qu’il brisa ces barrages :
Non sans mal, mes fantasmes créaient des mirages
Et je pus fuir, bien que mon corps gardât ses chaînes.
Enflammé par la magie de ma conation
Xénolite, je touchais pourtant à nouveau terre.
Ici-bas, ni sas, ni cœur, mais bien des enclos,
Saturés de ces dix-sept macaques en haillons.
Tous hurlant et s’agitant, ils créent un enfer,
Entretenu par un veilleur gardant d’en haut.
N’en déplaise à ces créatures impulsives,
Ce cirque ennuyeux, pesant, ne m’inspirait guère,
Et l’ennemi est dans la pensée qui diffère…
Armés de leurs griffes et d’offenses nocives
Ne ménageant ni mon être, ni leur tenue,
Globules et cris heurtaient le sol avec fracas.
Un silence orchestrait cette violence crue,
Lynchant l’espoir, brisant ma confiance en éclats.
Eux-aussi avaient dépassé leurs obstructions,
Unis et fédérés autour de trahisons.
Seul, sans pouvoir agir, je rêvais éveillé,
Emportant mon désir d’une autre réalité.
Le corps brisé, l’esprit en morceaux, je pensais:
Est-ce le monstre ou le ployé le maître des clés?
Lâché nu dans une arène sertie de serpents,
Ornée de fissures et patinée par la peur,
Un voile brumeux vint m’étreindre, m’ankylosant.
Piégé dans ce cirque, j’humai alors cette odeur:
Empoisonnée, détestable, lourde et sans égale,
Telle la couronne d’un héritier usurpé.
Le poids de cet étau m’ôta un cri brutal,
Estropiant le voile, soufflant un halo courbé.
Hier j’étais sujet, demain je me dérobe,
Occlus dans mon royaume calme et silencieux,
Mis à l’écart des explorateurs véreux
Amauroses devant l’éclat fané d’une orbe.
Rien à désormais d’égal que d’être invisible,
De duper jusqu’au son, la lumière et leur crible.
Et pourtant, des guerriers tiendront à me défier,
Niant leur naïveté et leur insouciance.
Maigres seront leurs exploits, piètres leurs conquêtes,
Etiolés à chaque impact de mon bouclier,
Taris de ne plus s’abreuver de ma méfiance,
Asphyxiés, en tenailles entre mes baïonnettes.
Mais cette armure royale ne m’est que temporaire,
Offerte dans le dessin de m’envahir.
Révélé à ses atouts, pouvoir s’y unir,
Promet au loin un avenir des plus prospères.
Houleux ont été les nombreux flots navigués,
Orageuses seront les terres à couvrir,
Sombres attendent les cieux dans lesquels s’engouffrer.
Et le temps lui, devant ses fresques, ne fait que fuir,
Sûrement lâche à l’idée d’une peinture séchée.
Lourde est ma tâche de louvoyer dans ce monde,
Abasourdi par cette fortune et sa fronde
Blottis dans l’ombre, sur leur piton dépiauté.
Elles me taraudent, me tourmentent le voyage.
Ascétiques, elles me rendent veule et décharné,
Ulcéré par mon cœur et mon âme volages.
Titubant, je trouvai port dans un oasis,
Encaissé et hors de leur atteinte narcisse.
Cette passe était l’écrin d’une mélodie ;
Enivrante, drapée d’une attrayante douceur,
Tachetée d’échos, éclatante de candeur,
Tels deux arpèges rejoignant leurs harmonies.
Elle s’évasait sur un Piémont chaleureux,
Cultivé de ses charmes et de délicatesses,
Herbacé de flores plantées sur ses reliefs
Indomptés, entre gorges et éperons rocheux.
Miroir de ma liberté, cette nature m’attire.
Elle me reflète tout le radieux à venir,
Rayonné le long de ces fins lacets ambrés
Entremêlés, que je me hâte de remonter.
Dure sera ma chute de ce promontoire
Obscurci par l’émersion du fourbe destin.
Une incise enchantée, mais follement illusoire,
Crue de mes yeux, pourtant effleurée de mes mains,
Expire sans un bruit et se métamorphose.
Elle exhibe ses torrents de lianes séchées,
Tordant, noyant l’esprit piégé en ses méandres.
Au loin l’horizon se délit, son socle tremble.
Meurtries par un feu ardent, les plaines sont rasées,
Et la mélodie, balayée par la tourmente.
Retour au noir, porté d’une passion avariée,
Escorté par une aversion paralysante.
Caressé par le choc l’espace se fractura
Oté de sa substance, le temps s’y engouffra
Irrités tél l’univers, d’étoiles échardé,
Nos iris, du moi et du monde, se fusionnèrent,
Captifs dans la fêlure de leur écrin de verre,
Étriqués par des pupilles surdilatées.
D’aucuns ne pourraient se contrer d’un tel plongeon,
Apre dans sa friction, tendre dans son étreinte.
Nul ne saura dicter pareille direction,
Sifflante, verticale, guidée par l’air de Corinthe.
Unique recherche inespérée d’un tréfond
Noyé dans une opacité inexorable,
Entamer sa préhension semble impraticable.
Briques après briques, mon futur de restreint, se scelle,
Obscurci par ma chute, lente, dans ce long tunnel.
Une douce abysse jaillit de son extrémité,
Claire et calme, s’efforçant d’aérer mes regrets.
Les frontières de mon répit, épris de chaos,
Etouffent mon salut, développent mes tumultes,
Dansent en tourbillons, et fustigent telles des insultes
Employées à me convaincre de mes fardeaux.
Dans l’œil de ma tornade pourtant, je m’élève
Et fixe au loin, ce fond diffus tissé de rêves.
Sans cesser ses spirales, elle boucle pour me piéger,
Ignorant que d’autres bras cherchent à m’inviter.
Lestées de poussières et soutenus par le vide,
Les structures infinies s’illuminent et prospèrent,
Unifiées en leur centre par un cœur cupide.
Sans ancrer leurs hélices, elles m’aident à m’orienter,
Incitant mes peines à gagner cet univers.
Obnubilé par ce songe des plus lucides,
Nos iris, du moi et du monde, se démêlèrent.
Sans arrêt elles tournent, elles ne cessent de m’animer…